Béatrice DERVAL
Séjour en Inde, novembre 2007- mars 2008
En 2005, lors du Forum international Rencontres de la couleur végétale organisé à Lauris par Michel Garcia et son équipe de l’Association Couleur Garance, j’installe une exposition des œuvres d’artistes et artisans d’art dans la salle d’exposition du château.
Les créations textiles d’Avani, mises en espace sur des bambous, se distinguent par la beauté éclatante de la couleur et de la soie sauvage, filée à la main. Rashmi et Rajnish Barthi sont les co-fondateurs de l’ONG Avani et présidents de Earthcraft, une coopérative de femmes qui produit dans les villages de l’Himalaya indien des textiles de soie et de laine, filées, tissées et teintes en couleurs végétales. Rashmi séduite par mes créations en couleurs végétales, m’invite à venir faire un séjour dans leur village-école situé à Tripuradevi dans l’Etat de l’Uttarakhand – ou Uttaranchal. Une centaine de villages travaille avec Avani, qui assure ainsi aux femmes une indépendance financière et leur donne la fierté de produire un artisanat haut de gamme.
Seulement munie d’un sac à dos et d’une valise, je pars en novembre 2007 vers une aventure que je me propose de vous conter.
A New-Delhi, je suis accueillie par Radika et sa famille. J’en profite pour visiter une vaste exposition sur le thème de l’eau et des connaissances scientifiques et techniques qui lui sont liées. Elle présente également des créations artisanales de grande qualité, donnant une vision globale de l’Inde à travers la diversité des matières travaillées. Laine, soie, coton, ramie rivalisent autant par leur esthétique, la grande richesse des motifs et la diversité infinie des couleurs …
Le voyage de New-Delhi à Kathgodam par le Ranikhet Express s’effectue en train-couchette et dure une nuit entière. C’est ensuite en taxi que je me rends de Kathgodam à Almora. La montée dure des heures. A Almora, je suis accueillie par Rashmi et Rajnish qui résident dans une charmante maison agrémentée d’un jardin. Nous reprenons la route en voiture tous les trois dès le lendemain, jusqu’à Tripuradevi, un petit village de l’Himalaya, situé à 120 kilomètres de la frontière népalaise et à 1600m d’altitude.
Le centre Avani est une école où se côtoient filles et garçons, au sein de différents ateliers : filage, couleur végétale, tissage et construction de lampes et panneaux solaires. Les femmes des villages voisins, formées à ces techniques, travaillent tous les jours sur les métiers à tisser. Cette activité leur donne une autonomie et contribue à l’évolution de la condition féminine, toujours très difficile et subalterne.
Tous les élèves sont des apprentis ouvriers rémunérés, tandis que les postes de responsabilités, d’enseignement, de gestion, de comptabilité ainsi que la restauration pour les 70 personnes en moyenne qui s’activent sur les campus sont tenus des autochtones, ce qui favorise l’enracinement du projet. Les nouvelles générations prennent ainsi conscience de la richesse de leur patrimoine, dont la valorisation contribue à leur éviter l’exode vers les grandes villes et empêche les moins armés de tomber dans l’indigence.
L’ONG Avani se charge également des relations commerciales qui permettent la diffusion des produits tissés. Elle participe à des salons des métiers d’Art en Inde et à l’étranger, à des expositions ; elle intervient également dans des colloques et effectue ponctuellement des conférences.
Le petit groupe qui s’est formé au sein de l’atelier teinture dirigé par Dheeraj et auquel je me suis jointe récolte et étudie les feuilles, les fougères qui poussent aux alentours de l’école. Nous dessinons, découpons des pochoirs pour placer des motifs sur les étoles tissées et invendues.
Nous découvrons et échangeons des savoir-faire, souvent assis à l’extérieur de l’atelier, sur des bâches, de manière à profiter de la chaleur du soleil et nous finissons les cours au soleil couchant, lorsque la température baisse. Quelques braseros placés dans différents endroits du campus s’illuminent, réchauffant tout le monde.
Les balades, la récolte du thé chez des voisins font partie des échanges. Les repas cuisinés végétariens et quotidiens tournent autour du dhal (soupe délicieuse de lentilles jaunes), riz, épinards (cultivés sur place), choux-fleurs et pommes de terre accompagnés de galettes de blé (chapatis et puris), préparées par les filles et les garçons à tour de rôle. Les fruits sont rares et distribués à toute l’école de temps en temps.
Après le repas du soir, les amateurs de musique, de danse, de tricots et de films ’Bollywood’ se réunissent sous le grand dôme. Le plus souvent, les garçons se tiennent d’un côté et jouent de la musique, tandis que les filles, de l’autre côté, tricotent et dansent. L’hiver est là et les aiguilles à tricoter vont bon train pour confectionner pulls et chaussettes destinés aux adultes et aux enfants.
En ce mois de décembre, la nuit, la température peut descendre jusqu’à 0 degré. Des petits groupes accroupis se forment autour des feux tandis qu’un gardien aveugle veille sur tous ; quand un danger se présente, il le signale au moyen d’un authentique sifflet de gendarme (coutume courante dans toute l’Inde).
Quand cesse le son rythmé des tambours, tout le monde se blottit sous plusieurs couches d’épaisses couvertures en bourre de laine de mouton. Le vaste ciel éclaboussé d’étoiles frémit.
Béatrice Derval
Béatrice DERVAL
Séjour à Calcutta, premier trimestre 2008
Je suis invitée par Shamlu DUDEJA Présidente de l’ONG SHE FOUNDATION
(Self Help Enterprise).
Shamlu a été la première à faire renaître l’art patrimonial du Kantha, des broderies main réalisées par les talentueuses femmes des villages de torchis du Bengale, paysannes, bergères, agricultrices qui, à la lumière de l’après-midi, se réunissent sur les terrasses et brodent des étoles, des châles, des saris, des tentures, des vestes et des tuniques de soie ou de coton.
Cet humble travail collectif participe d’une tradition séculaire de récupération qui consistait à superposer jusqu’à sept épaisseurs d’étoffes usagées qui étaient surpiquées à la main pour n’en plus faire qu’une, laquelle était ensuite rebrodée pour magnifier le quilting. Cette pratique a disparu face à l’arrivée massive de textile synthétiques peu onéreux.
Les motifs peuvent être floraux, géométriques, abstraits voire d’inspirations religieuses, traditionnels ou modernes. Un groupe de brodeuses travaille parfois sur une même pièce et chaque pièce est unique.
Shamlu, depuis les années 1984 achète leur travail et fait ainsi revivre une technique de broderie exceptionnelle. Au fil du temps les collections se modernisent avec un goût subtil, des matières raffinées (crêpe de soie, mousseline, soie tissée main appelée tussar) et elles sont vendues en Inde et en France. Elles assurent un revenu à 1200 femmes et font ainsi vivre près de 10.000 personnes.
Dans les villages autour de Calcutta, les jeunes villageoises sont formées à la broderie Kantha par des cheffes d’équipe dans leurs villages mêmes.
Je suis soutenue par le gouverneur du Bengale Mr. Gopalkrishna Gandhi sur une proposition de Mme. Shamlu Dudeja pour installer 2 ateliers de teintures végétales dans le nord à Degonga et dans le sud à Garia .(Une mégapole comme Calcutta compte trop peu d’ateliers qui pratiquent encore les teintures végétales). Il nous faudra une semaine pour réunir le matériel de base et démarrer les ateliers.
L’expérience entrouvre des portes, les femmes des villages sont motivées et les plus expérimentées en matière de broderie intègrent vite les différentes techniques. Les résultats sont encourageants redonnant un souffle nouveau à leur travail de création.
(Il nous faudrait un an pour mener sérieusement à bien un tel projet).
Le séjour à Degonga sera plus long et le nombre d’élèves s’élèvera à une vingtaine, de niveaux différents et toujours très enthousiastes.
La technique Shibori donne des résultats immédiats, la plupart des femmes sont des brodeuses chevronnées. Nous passons des moments forts en émotion. Le gouvernement envoie régulièrement des observateurs qui doivent prendre la décision de continuer le projet ou de l’arrêter.
Quand les premières étoffes de soie teintes avec le souci, l’indigo, la grenade, la noix de betel, le catechu, commencent à frémir dans les casseroles en acier inox, les visages s’illuminent.
Nous ouvrons ensemble les petits paquets des applications diverses de la technique japonaise Shibori. La magie opère et les résultats donnent envie de continuer. Nous travaillons par terre sur de grandes bâches en plastique noir. Les moyens rudimentaires nous forcent à faire avec ce que l’on a sous la main et développe le système D.
Dans le district de Degonga, au moment de mon séjour, plusieurs ateliers sont accecibles aux femmes :
- Province productrice de Jute, elles fabriquent des cordes et les transforment en objets de décoration (style macramé).
- Atelier de broderies pour débutantes.
- Atelier de broderies ou les meilleurs éléments sont sélectionnés et deviennent brodeuses de Kanthas.
- Atelier de batik à base de teintures chimiques.
- Atelier nursery de manguier.
Salle d’ordinateurs ou pour la première fois dans cette région, filles et garçons travaillent ensemble dans une ambiance chaleureuse orchestrée par un jeune professeur de sexe féminin.
J’habite une petite maison sur le terrain de l’école, le soir sous la moustiquaire, je prépare les cours du lendemain et rédige le compte-rendu de la journée que je traduis en anglais. Je laisse en partant un registre de toutes les manipulations Shibori élaborées avec les élèves ainsi qu’un cahier d’échantillons de teintures végétales en 5 exemplaires. Un journal de bord est écrit relatant le plus justement les expériences quotidiennes et leurs résultats.
Je quitte Degonga entourée d’une barrière de jeunes filles qui chantent et pleurent mon départ que j’hésite à suspendre. Aujourd’hui en France, il n’y a pas un jour où mes pensées ne vagabondent et errent vers ce pays qui a su capturer mon âme.
En France, Dominique Boukris, la présidente de l’association « SHE France », organise depuis plus de 20 ans avec sa petite équipe de bénévoles des expositions qui se déroulent dans des espaces privés ou publics et mettent en scène les kanthas sous forme d’écharpes, de tuniques ou de grands panneaux historiés. Les première étoffes teintes en indigo ont fait leur apparition. Les graines semées ont germé.
La fille Malika et les 2 petites filles de Shamlu Dudeja ont créé leur ONG MAYURI des foyers d’accueil et de formation des femmes à différents métiers.
Contact S.H.E France relaie l’action de SHE FOUNDATION (Self Help Enterprise)
dominique.boukris@orange.fr. tel : 06 15 08 53 40
Malika Kanthas collection 4/1 Alipore Park road Kolkata